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mercredi 29 janvier 2014

fiche de lecture : Jacques VERON, l'urbanisation du monde


                      FICHE DE LECTURE                  


Jacques VERON,

                                         l'urbanisation du monde

Je met en ligne cet article de Véron ,il  donne une critique intéressante du phénomène d'urbanisation dans le monde, notamment selon les régions du monde et la mondialisation : 

1. L’AUTEUR
     Jacques VERON est un démographe français. Il occupe également les fonctions de directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED) ainsi que de directeur des relations internationales. Ses domaines de recherche portent principalement sur les thèmes de l’interaction entre population et développement durable, et la science de la population. Dans cet ouvrage publié en 2006 dans la collection Repères (éditions de la Découverte), l’auteur s’intéresse à l’urbanisation croissante du monde. Son livre est composé de quatre parties, illustrées de cas concrets et de données statistiques, dans lesquelles il s’interroge sur ce phénomène global ainsi que la nature des relations entre population, développement et urbanisation. 
2. RESUME
« Le monde ne cesse de s’urbaniser ». L’urbanisation est un processus continu et irréversible: les citadins sont de plus en plus nombreux et les espaces urbanisés augmentent, la ville consomme de plus en plus d’espace. « L’urbanisation du monde est une tendance lourde et structurante » de ces dernières décennies. 
Dans la première partie, l’auteur revient sur les caractéristiques du processus d’urbanisation. Si l’urbanisation a complété le processus de développement économique dans les pays industrialisés, l’urbanisation est un processus autonome dû au « caractère répulsif des campagnes » et donc indépendant du développement dans les pays du Sud. BAIROCH a évoqué « une urbanisation sans développement » (1996). La notion de ville, autrefois synonyme de progrès économique et social, a donc évolué. On peut compter quatre phases dans l’histoire urbaine (BAIROCH, 1996) : une phase de « proto-urbanisation », une phase de « révolution urbaine », une phase d’urbanisation impulsée par les révolutions industrielle et agricole dans les pays du Nord puis une phase d’urbanisation plus tardive ou l’« inflation urbaine du Tiers monde ». De plus, l’histoire urbaine interroge le lien entre développement des villes et l’urbanisation comme phénomène global. Par exemple, la ville de Paris s’est fortement développée sans que l’urbanisation de la France soit importante. Comme le souligne BAIROCH, « chaque ville a son histoire propre qui s’insère dans un système urbain qui lui aussi, a son histoire spécifique ». Différents critères peuvent être retenus pour définir la ville (critères démographiques, fonctions administratives, combinaison de critères). Il reste difficile d’appréhender avec précision les limites/contours d’une agglomération urbaine. Différents instruments permettent pourtant de mesurer le phénomène urbain : le taux d’urbanisation, la population urbaine et enfin le taux de croissance urbaine. Les pays développés sont plus urbanisés que les pays en développement (taux d’urbanisation) mais, la majorité des citadins de la planète vivent dans des pays en développement (population urbaine). Il existe différents modèles d’urbanisation. L’Asie a par exemple un taux d’urbanisation bas mais possède le plus grand nombre de personnes habitant dans des villes. La croissance urbaine va continuer de progresser, en particulier dans les pays en voie de développement, et le poids des grandes villes ou métropoles devrait augmenter. La métropolisation est une des caractéristiques de l’urbanisation du monde. On assiste à une forte augmentation du nombre de métropoles et des grandes agglomérations ou mégalopoles. 
J. VERON analyse la complexité de la dynamique urbaine dans la deuxième partie. Les facteurs de la croissance urbaine sont l’exode rural, la transition urbaine et la croissance démographie. L’exode rural grossit le nombre de citadins. La contribution de l’exode rural à la croissance urbaine est une réalité dans les pays en voie de développement. A ce phénomène s’ajoute la transition urbaine c’est-à-dire « le passage d’un faible niveau d’urbanisation à un niveau élevé ». Ce modèle de changement de la répartition spatiale de la population est plus ou moins généralisable. Enfin, « une des conséquence d’une croissance démographique rapide serait une intense urbanisation ». Cette relation entre urbanisation, croissance urbaine et croissance démographique est mesurée par les Nations Unies. La croissance démographique contribue à la croissance urbaine et le degré d’urbanisation est fonction de la croissance urbaine. Toutefois, d’autres facteurs doivent être pris en compte. Si la dynamique urbaine est un processus s’inscrivant notamment dans le temps et l’espace, les villes sont aussi une « affaire de territoires ». Les villes s’étendent de plus en plus. Cet étalement urbain est conditionné par la taille et la nature de l’habitat à l’exemple de Los Angeles. Ce phénomène tend à se généraliser, « partout les villes dévorent leur espace environnant sans logique apparente » (LE BRIS, 2003). Selon les époques, il existe des formes différentes d’extension des villes. On dénombre quatre phases de transition urbaine (BERRY, 1998) faisant référence aux périodes de croissance et décroissance du centre et de la périphérie. Toutefois, « les modèles d’extension spatiale des agglomérations urbaines obéissent à des logiques économiques et sociales différentes selon les pays du Nord et du Sud », p.46. 
   La morphologie des villes est également fonction de la densité de population. Cette densité constitue un enjeu en termes de développement durable des villes en particulier dans les pays industrialisés. Dans les pays en développement, la dynamique spatiale des villes est marquée par des migrations en provenance des zones rurales. Ce phénomène contribue à l’essor de la ville illégale caractérisée par la présence de bidonvilles et l’absence de planification urbaine. Par ailleurs, le partage de l’espace urbain est fonction du niveau économique des habitants. Les ménages les plus aisés, par leur choix, impactent la géographie sociale des villes (ségrégation résidentielle). Enfin, la question des transports et de l’accès à la ville est centrale aujourd’hui pour améliorer l’environnement urbain. La ville doit aussi être considérée dans les relations entretenues avec son environnement car il s’agit d’un système ouvert avec des flux entrants et sortants (cf. approche systémique) marquant les fortes interactions entre urbanisation et mondialisation. La ville par ses interactions s’inscrit dans un système de villes. 
     L’auteur s’intéresse dans la troisième partie à la relation complexe entre urbanisation et développement, en particulier dans les pays du Sud. Cette « inflation urbaine » (BAIROCH, 1996) remet en question les notions auparavant associées de progrès économique et social, et d’urbanisation. Les citadins ont des manières d’être et agir spécifiques des ruraux. La ville apparaît donc comme un milieu structurant les comportements. Si la « condition citadine est génératrice de nouvelles attitudes » (FARGUES, 1988), les comportements démographiques diffèrent suivant la taille de la ville. Il y a un lien entre transition démographique (changement de comportements) et transition urbaine (MIGUEL VILA, 1996).
   Il apparaît alors que le lien entre urbanisation, modernisation et développement est différent au vu du processus d’urbanisation dans les pays du Sud. L’urbanisation est le fait de migrations économique (TODARO, 1969) et sociale mais elle est « antiéconomique » (VERON, 2006). 
    La pauvreté est également un facteur déterminant, source de mouvements migratoires. Les métropoles, mégapoleset autres mégalopoles sont autant de caractéristiques des territoires urbanisés du XXIème siècle. Si les villes revêtent des réalités différentes au Nord et au Sud, elles traversent une crise en matière d’intégration et doivent relever des défis urbains similaires. Les villes du Sud doivent faire face aux bidonvilles et celles du Nord aux problèmes sociaux de certaines aires urbaines. Si les conditions de vie sont inégales au sein de la ville et en fonction du niveau de développement d’un pays, elles le sont également entre la ville et les campagnes, les citadins vivant mieux que les ruraux. La situation se caractérise par l’extension des bidonvilles au Sud, « villes dans la ville », et du coup la paupérisation des populations urbaines en Afrique, en Amérique Latine et en Asie est importante. Ce phénomène pose des difficultés en matière d’insertion. La crise de la ville dans les pays du Sud est à la fois endogène (croissance naturelle) et exogène (exode rural). 
     Un autre phénomène caractéristique est la « ruralisation » des villes au Sud. Dans les pays développés, la ville est devenue un lieu de discriminations et d’exclusion. Par ailleurs, il apparait difficile de trouver un équilibre satisfaisant entre villes et campagnes et de limiter la croissance urbaine car celle-ci s’auto entretien grâce à l’avantage urbain. Certains pays du Sud ont mis en place des moyens radicaux voire non démocratiques pour maîtriser la croissance urbaine. Des actions ciblant le monde rural ont aussi été menées mais sans réel succès car les écarts de condition de vie entre citadins et ruraux demeurent trop importants dans les pays pauvres. 
   L’enjeu commun aux pays du Nord et du Sud abordé dans la quatrième partie de l’ouvrage concerne l’avenir des villes et la recherche de modèles de développement urbain alternatifs. Il s’agit de relever quatre défis afin d’améliorer les conditions de vie des populations tout en préservant et respectant l’environnement urbain. Il faut renforcer la cohésion sociale pour éviter la dualité des villes au Nord comme au Sud et l’affaiblissement du lien social. 
  Il faut également améliorer l’environnement urbain, en limitant les différentes pollutions et en changeant les comportements au Nord et en améliorant les conditions économiques au Sud et le fonctionnement des services publics. Il faut préserver l’environnement global en limitant l’empreinte écologique des villes. Il faut enfin concilier le patrimoine et la modernité par un « urbanisme innovant » (VERON, 2006). En réponse à ces défis, des modèles de villes et de modes de vie durables sont à (ré) inventer. L’approche globale du phénomène d’urbanisation est privilégiée, la ville « étant un système dans un système de villes ». 
Les Nations Unies ont mis en place le programme des Agendas locaux 21 reposant sur trois piliers : économie, social et environnement/écologie. Malgré des différences Nord/Sud, cette approche novatrice est assez pertinente pour promouvoir un développement durable. On a substitué le modèle de ville écologique où domine les espaces verts à l’instar de Washington au modèle de ville durable ce qui marque un changement fondamental de la perception du fait urbain et de l’urbanisation (THEYS, EMELIANOFF, 2001). La ville durable est « compacte, citoyenne, solidaire et éco gérée » (BARNIER, TUCOULET, 1999). 
    Les villes durables sont des villes de proximité où les quartiers retrouvent une multitude de fonctions et des villes ré humanisés, à dimension humaine, basées sur une mixité à la fois générationnelle et sociale. En fait, les villes durables incarnent une nouvelle façon de vivre ensemble avec des modes de production et de consommation différents ainsi que des modes de gestion et de gouvernance urbaines renouvelées tenant compte des citoyens et de leur participation active à la vie publique et de relations poussées entre les autorités locales et leurs administrés (ARSHER, 1995). 
      Enfin, au côté d’un développement urbain durable, il est donc absolument nécessaire de penser un développement rural durable afin de rééquilibrer le rapport entre ville et campagne. 
3. COMMENTAIRE
    L’analyse portera autour des questions traitées par l’auteur :
  a) L’importance des villes et le poids des citadins à l’échelle mondiale
Le « fait urbain » est indéniable. L’avènement de la ville ou plutôt des villes est récent dans l’histoire de l’humanité, au Nord comme au Sud. Longtemps, le monde urbain et le monde rural se sont opposés en renvoyant à des modes de vie et valeurs différents. L’urbanisation du monde a rendu caduc la distinction entre ces deux mondes ce qui amène à considérer les villes et les campagnes en termes de différences. Depuis 2007, un habitant de la planète sur deux vit en ville, la population mondiale est majoritairement urbaine dépassant ainsi la population rurale. En 2030, les citadins seront environ 5 milliards et représenteront 60% de la population mondiale selon l’ONU. Suite aux explications de l’auteur, on distingue différentes caractéristiques de ce processus. Pour schématiser, on peut retenir que le Nord est déjà très urbanisé mais que le Sud s’urbanise très vite. Au Nord, les taux d’urbanisation dépassent les 75% en Europe, en Amérique du Nord. Malgré une croissance urbaine faible, les agglomérations continuent de s’étendre en superficie (périurbanisation).
     Les problèmes des villes du Nord sont diverses : pollution, encombrement, exclusion sociale et augmentation de la pauvreté. Au Sud, certains pays ont des taux d’urbanisation proches de ceux du Nord (Amérique Latine) mais la majorité des pays en développement ont des taux d’urbanisation plus faibles à 50% en Asie et en Afrique. La croissance urbaine est par contre très forte. Les grandes agglomérations connaissent une croissance exponentielle. Ainsi, le nombre de grandes villes (supérieures à 5 millions d’habitant) est plus important au Sud qu’au Nord. Les problèmes des agglomérations du Sud sont principalement l’organisation et la gestion de la ville (habitat précaire, anarchie), le manque d’infrastructures et de services, les pollutions, le manque de ressources économiques et l’importance du secteur informel, l’exclusion et la pauvreté. 

b) La complexité de l’urbanisation en lien avec le développement dans les pays du Sud
    L’analyse porte ensuite sur le phénomène d’urbanisation en tant que tel, en particulier dans les pays du Sud. Il est le fruit complexe de plusieurs facteurs. L’exode rural joue un rôle majeur. Il est directement lié, comme le souligne l’auteur, à l’appauvrissement des campagnes qui poussent beaucoup de ruraux appauvris à émigrer en ville. La ville présente des avantages malgré des conditions de vie tout aussi difficiles. La ville reste synonyme de liberté et d’opportunités dans l’esprit collectif. Elle reste donc attractive car il y a une concentration de richesses et une ouverture sur l’extérieur à la différence des campagnes. En plus de la croissance démographique (augmentation de la population par apport des migrations), l’accroissement naturel toujours important (différence entre la natalité et la mortalité) contribue à la croissance urbaine dans les pays en développement. Selon l’ONU, l’urbanisation du monde se fera à 95% dans les pays du Sud (Shanghai, Delhi, Lagos, Dhaka, etc.) alors que les pays du Nord connaîtront une stabilisation du phénomène (croissance faible de New York, Paris et Tokyo). En 2030, les villes de pays du Sud pourraient atteindre 4 milliards d’habitants, soit 80% des citadins du monde. L’ouvrage de J.VERON apporte donc un éclairage particulièrement intéressant sur ce phénomène dans les pays du Sud et les préconisations qu’il fait en conclusion, à savoir agir sur le monde rural, apparaissent particulièrement pertinentes. En effet, l’élévation du niveau de vie de ces populations est de nature à restaurer l’équilibre entre villes et campagnes.


c) La recherche d’un modèle de développement urbain pour l’avenir 
   L’auteur s’interroge sur les possibilités de mettre en place un développement urbain durable. Les villes durables ou villes d’avenir peuvent apparaître comme une partie de la solution. La ville durable repose sur les trois piliers du développement durable et renvoie à des engagements concrets. Différents projets ont vu le jour en Suède à Malmö, à Londres (Bedzed, modèle d’éco-quartier), en France à Grenoble ou encore aux Emirats Arabes Unis avec l’ambition d’avoir la première ville 100% durable du monde pour un investissement de 22 milliards de $. Malgré des résultats prometteurs, il s’est avéré difficile de concilier pleinement les trois critères du développement durable. 
  Toutefois, l’enjeu est d’arriver un jour à penser un urbanisme durable avec une mixité sociale effective et de créer ou recréer des lieux de vie communs. A cet égard, on peut affirmer qu’il s’agit d’un enjeu d’actualité comme le montre le thème de l’exposition universelle de Shanghai : « nouvelle ville pour une nouvelle vie ou la ville comme laboratoire de nouvelles solutions » qui a comptabilisé 73 millions de visiteurs. Shanghai est un emblème en soi car il s’agit de la première ville de Chine (20 millions d’habitants) et sa forte croissance a eu de nombreux effets négatifs (problèmes sociaux et pollution). Les Chinois qui comptent de plus en plus de citadins sont à la recherche d’un modèle urbain à développer. En Corée du Sud, la première mégalopole durable est en train de voir le jour. Ce continuum urbain est inédit. Ce laboratoire de ville du futur à l’ambition d’être un centre de business/affaires tout en étant respectueuse de l’environnement et en se fondant sur un urbanisme durable.    Toutefois, les impacts environnementaux réels d’un tel projet restent à être pleinement appréhendés. Comme le montre le livre, il y a donc un intérêt réel pour modifier la ville et les modes de vie des citadins même si l’équation entre développement durable et développement urbain reste à résoudre. 
     L’exposé de l’auteur sur le processus d’urbanisation du monde est à mettre en lien avec la mondialisation. En effet, la nouvelle mécanique de l’économie mondiale se caractérise par l’augmentation des flux et la concentration spatiale. Cette logique nouvelle de proximité a eu comme effet l’augmentation de la mobilité et la concentration des hommes. Les mégalopoles qui concentrent croissance économique et richesses se sont multipliées devenant parfois plus puissantes que des Etats. Toutefois, cette répartition nouvelle des richesses donc de la population s’est faite au profit de centres d’impulsion, de contrôle, de réseaux et de services qui sont proposés dans les grandes villes. Ainsi la mondialisation n’est pas véritablement mondiale, elle n’est pas pour tous. Cette inégalité accroît les différences et les déséquilibres entre ville et campagne. 


Le livre de J.VERON permet de comprendre le processus continu d’urbanisation du monde qui est à l’œuvre, en particulier au Sud, ainsi que ses enjeux en termes de vivre ensemble, d’égalité et de préservation de l’environnement et de la planète. 
       
                                                                                                 BACCARI HOUSSEM

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